Matsuo Chiaki { fini

« Où sont tes parents ? Pourquoi as-tu fait cela ? »

Une lumière blafarde arrivait sur le visage de la gamine, l'empêchant de voir qui lui parlait avec précision.

Elle était assise sur une chaise un peu vieille, basculant d'un pied sur l'autre.

-Je ne sais pas. Ils ont dû partir. Je ne sais pas non plus pourquoi j'ai volé. Personne ne surveillait l'étalage...j'ai voulu surveiller mes limites, je suppose.

L'inspecteur de police soupira, posa son stylo.

« Pour cette fois, tu t'en sortiras avec un avertissement. Je ne veux pas te revoir dans le coin. Allez, file ! », dit-il d'un ton qui se voulait incisif, mais également rassurant envers cette gamine de 12 ans complètement paumée.

-Merci, bredouilla-t-elle du bout des lèvres.

Elle était polie, on lui avait toujours appris à être polie. Elle s'inclina de quelques centimètres et sortit de la pièce, puis du bureau de police.

L'air extérieur était froid et elle était à peine vêtue. Elle eut cependant un sourire et tendit la paume de ses mains vers la neige.

Matsuo Chiaki était la cinquième enfant d'une famille bien agitée. Aussi loin qu'elle s'en souvienne, elle ne connaissait pas son père, et sa mère faisait diverses boulots à gauche et à droite pour nourrir l'immense fratrie. Elle avait une sœur et un grand frère qui exerçait le rôle de parents à sa place, mais elle ne les avait jamais appelé que par leur prénom.

Sa famille était attachante : c'était là une de ses immenses qualités, mais elle était également très bruyante. Très tôt, la jeune Chiaki se surprit à fuguer dans le monde extérieur pour passer des heures et des heures dans des lieux qui n'étaient pas fréquentés. Le silence avait quelque chose de soulageant, au même titre que le sport qu'elle découvrit plus tard dans ses années collège.

Si elle n'était douée pour se faire des amis (trop asociale pour les garçons, trop masculine pour les filles), Chiaki avait eu une bonne poussée de croissance qui faisait la joie des différents club. Tour à tour, elle s'était inscrite au club de marathon, de lancée de javelot, et, à la toute fin de sa scolarité, avait même pratiqué un cours moment le triathlon.

Elle ne faisait jamais un sport trop longtemps, elle ne s'attachait pas non plus aux personnes qui y couraient à ses côtés. Sa seule joie était de se dépasser et de sentir ses poumons sur le point d'éclater au moment où elle faisait le plus d'effort.

Au collège, puis au lycée, ses résultats furent corrects en cours, très bons en discipline sportive. Il y avait cependant un étonnant malaise lorsqu'elle se retrouvait face à la feuille d'orientation donnée par les professeurs à chaque semestre. Elle laissait systématiquement blanche la partie qui déterminerait son avenir.

Lorsqu'elle eut 16 ans, l'ambiance à la maison était d'autant plus animée qu'un petit frère venait de naître. Sa mère avait un nouveau compagnon et elle ressentit d'autant plus l'envie de fuir le cocon familial.

Il faisait nuit et chacun de ses pas l'amenaient vers un parc qu'elle avait l'habitude de fréquenter. D'un geste las, elle remettait ses lunettes en place lorsqu'elle entendit un bruit qui la fit sursauter. Un bruit, comme si elle surprenait quelqu'un en train d'en dévorer un autre. Comme si...

Elle posa ses mains sur sa bouche pour éviter de hurler.

Elle était témoin du festin d'une goule. Elle ne l'avait pas vu, mais le spectacle était si intenable qu'elle eut immédiatement envie de vomir.

Elle tenta de bouger un pied, puis l'autre, sans succès : la peur la tétanisait. Sa respiration se faisait irrégulière, ses yeux ne lâchait pas la scène du regard, pétrifiés.

Que se passa-t-il à ce moment ? Elle avait du mal à s'en souvenir, mais des hommes arrivèrent. Des hommes qui avaient noble allure et qui étaient vêtu de longs manteaux. Ils portaient des valises qui, elle l'avait vu distinctement, se transformèrent en armes brillantes.

Un combat commença et Chiaki put reprendre son souffle. Elle en profita pour courir dans la direction inverse et rentrer chez elle.

Pendant le prochain test d'orientation, elle sut quoi inscrire sur la feuille jusque là restée blanche.

« Je souhaite protéger la population. Je veux devenir inspecteur au CGC. »

Car elle n'oublierait cette nuit de lune claire, cet homme blessé, peut-être mort, qui savait ? Elle n'oublierait pas la peur qui l'avait pétrifiée cette fois-là et la voyait comme un défi pour se surpasser.

Alors, très bien.

Dès qu'elle en eut l'âge, elle s'inscrivit à l'académie et fit ses premières armes. Elle obtint avec succès son diplôme et on ne manqua pas de lui rappeler que le terrain était tout autre et qu'elle devait aussi être préparée à cela, ou elle finirait en gibier.

Chiaki avait confiance en ses instructeurs, alors elle se prépara, s'entraîna sans relâche.

Était-elle prête ?