Ikaku Jiro -

Pour moi, il n'y a toujours eu que lui. D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours joué dans son atelier à me perdre dans la contemplation de ses estampes accrochées aux murs, à me noyer dans les représentation surnaturels qu'il dessinait sur papier ou sur le corps des gens. J'étais trop petit pour comprendre les histoires qu'il racontait au travers de ses dessins pourtant, les traits de sa plume me fascinaient et parfois même m'effrayaient. C'était jusqu'à ce que je comprenne enfin; ces traits étaient une part de nous. Ils reflètent notre histoire, notre côté sombre ou au contraire notre part de lumière. Ils sont là pour orner le corps de ces gens car oui, il ne s'agit que d'ornementation qui à la manière des artistes comme Hokusai, racontent une histoire aux gens. Mon père est à mes yeux un conteur émérite, un modèle à suivre, mon modèle.
Conteur, il ne l'a pas toujours été. Je me souviens de certaines histoires à présent dissimulées sous des costumes hors de prix qui parlent de chasseur de l'ombre, de goule, comme nous, qui ont vécu caché pour survivre; qui parfois ont dû se battre contre d'autre pour enfin vivre en paix. Comme me le racontait mon père, certaines ont à présent disparus, d'autres sont parties loin et enfin, certaines sont restées.
Lorsque j'étais encore un enfant, il prenait le temps, le soir, de me conter nos histoires. Il le faisait probablement pour que je n'oublie pas, que je sache d'où je viens ou que je me sente moins seul? Peut être que cela était dû à son divorce avec ma mère bien que ce soit une chose que je n'ai jamais comprise. Peut être que c'était lui qui se sentait seul, qu'il avait besoin d'en parler à quelqu'un. J'étais d'ailleurs trop petit lorsque c'est arrivé pour me souvenir. Cependant, c'était l'histoire qui revenait le plus souvent; son idylle avec cette goule, me parlant parfois d'un enfant que je n'étais pas ou de cette famille de quatre créatures dont deux que j'ai, malgré ses histoires, oublié. Dans ces moments, je lisais dans ses yeux une grande tristesse que seul mon sourire avait le pouvoir de faire disparaître. Ce fut probablement durant cette période de ma vie que j'ai commencé à sourire pour un rien, pour apaiser le cœur de mon cher père.

Il était plus qu'un père. Cet homme au visage si fermé que mon sourire était la seule chose qui pouvait balayer la tristesse dans ses yeux était aussi mon maître. Il m'enseignait l'art du combat, mélangeant les arts martiaux, prétextant prendre le plus utile dans ceux qu'ils connaissaient. Cet enseignement m'était nécessaire pour apprendre à me défendre contre ceux qui nous chassaient sans pour autant déployer notre kagune. Ce dernier était d'après lui uniquement à utiliser pour se défendre ou en cas de replie.
En plus de ma formation au combat, j'eus le droit à une scolarité à domicile. Mon père avait probablement peur que je dévore mes petits camarades et il avait bien raison! Nous avions beau avoir fait l'essaie à mon entrée au collège, je ne pus m'empêcher de tuer quelques camarades gênants pour enfin les dévorer pour cacher leur corps ainsi aucun soupçon ne se ferait sur moi ou même mon père. Je dois le reconnaître, ces années-là ont été les plus difficiles pour moi. Je devais grandir, m'épanouir entouré d'humain de mon âge sans pour autant les manger ni les tuer, en gardant à l'esprit qu'ils étaient tout de même de la nourriture et en me mêlangeant à eux. Ce fut probablement la chose la plus compliquée à assimiler.
Encore maintenant, j'ai beaucoup de mal avec la notion d'amitié avec les citoyens. Je préfère la compagnie des goules, avec elles au moins, on se comprend même si parfois il m'est difficile de suivre les idées du clan auquel mon père et moi appartenons. Cependant, ils me gardent sous le coude pour effectuer les besognes que d'autres ne veulent pas. Si cela ne me dérange pas à l'Amaryllis, au salon de tatouage de mon père, c'est une autre histoire. Depuis que je suis devenu son apprenti je n'ai pas encore eu le droit de toucher le bambou, me contentant de la machine et des demandes étranges des clients. Quelle vie cruelle !