Minamoto † hate your life

Je suis ce qu'on appelle une anomalie. C'est tout du moins ce dont je me qualifie. Mais si je dois vous raconter mon histoire, autant commencer par le début.

Je suis né il y a presque 33 ans dans une famille aimante à Niigata, dans la banlieue de Tokyo. Mes parents travaillaient beaucoup, mais trouvaient toujours le moyen de s'occuper de moi. J'ai eu ainsi une enfance plus ou moins heureuse, même si j'avais du mal à me faire des amis.

Mais ça...c'était avant de rencontrer Kazuki.

J'ai rencontré ce garçon au début du collège, lui qui venait de la grande ville était admiré de tous avec son air rebelle. Il me gênait un peu, avec toute cette assurance...mais je crois qu'au fond j'aimais beaucoup ça. Sans le savoir, j'étais en train de tomber amoureux pour la première fois de ma vie. C'est idiot de se dire ça à l'âge de 12 ans j'expérimentais déjà l'amour, en l'occurrence celui interdit de l'amour entre hommes. Je me sentais mal, j'avais appris que c'était une très mauvaise chose, et je pensais déjà être un monstre à cette époque. Si seulement j'avais su que ce qui faisait de moi un monstre, c'est d'être né dans ce corps...

J'ai toujours été fasciné par la mort et tout ce qui entoure cette fatalité, mais plus encore par la façon qu'ont les hommes de l'accepter et de se protéger. Paradoxalement, en tant que goule, je me nourrissait de ces hommes comme eux se nourrissaient du bétail, tout en déplorant leurs méthodes. Mes parents ne tuaient pas, moi non plus, nous nous contentions de voler des cadavres à la morgue de l'hôpital où travaillait ma mère ou récupérions des suicidés en cas de besoin. Une goule n'a pas besoin de manger si souvent que ça, et heureusement. Déjà à cette époque, j'avais du mal à me dire que je devait manger ces mêmes êtres que j'affectionnais tant...je ne pouvais pas me retirer de la tête qu'à chaque bouchée de chair que je prenais, c'était à Kazuki que je faisais du mal.

Je me suis naturellement dirigé vers une filière scientifique car il me semblait nécessaire de comprendre comment fonctionnait le corps humain pour comprendre comment mon propre corps fonctionnait. J'ai fini par me pencher sur l'histoire après le lycée, avide de connaissances sur ma propre espèce. Je voulais nous connaître, mieux me connaître...et savoir s'il existait un échappatoire à notre condition. J'ai fini mes études, fait une thèse sur les goules dans l'imaginaire collectif et leur représentation pour l'humain, et me suis engagé en tant qu'anthropologue funéraire à donner des cours à la fac de Waseda. Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Je ne sais pas encore ce qu'il s'est réellement passé. Tout ce dont je me souviens, c'est de cette douleur en pleine poitrine, de cette faim insupportable et de la brûlure au niveau de mon dos, entre mes omoplates. Je crois que j'ai été attaqué...et c'était la première fois que mon Kagune sortait, à presque trente ans. J'ai fui comme j'ai pu dans les dédales de ruelles, et ai fini par me réfugier dans un petit temple qui semblait abandonné. La faim me rendait presque fou...peut-être parce que mon corps se régénérait lentement. Il me manquait un bras, mais il était en train de repousser. Qu'est-ce qui a bien pu m'arriver?

J'ai fait l'erreur d'appeler Kazuki au secours. Même si nous avions été séparé après le lycée, nous restions tout de même des amis proches. Il n'était pas au courant de ma condition, je refusais de lui en parler pour le protéger...et parce que j'avais peur de son jugement. Mais là, sous la panique, je n'ai pas pu m'en empêcher. Je l'ai vu arriver dans ce coin de ruelle sombre, alors que le soleil déclinait à l'horizon. Il n'a pas crié. N'a pas cherché à fuir en croisant mon regard monstrueux. Il s'est approché, a retiré son T-shirt pour le presser contre ma plaie béante et m'a invité à le dévorer. Je ne sais pas encore comment, mais il savait. Il connaissait tout depuis bien longtemps. Il connaissait les goules, savait que j'en étais une, et n'attendait que le bon moment pour que je me dévoile à lui.

Kazuki doit encore avoir une jolie cicatrice à l'épaule aujourd'hui, mais je ne peux plus le savoir. La faim m'a forcé à le mordre, à goûter sa chair, mais j'ai fini par fuir devant ce que je venais de faire malgré la douleur. J'ai coupé les ponts avec mon ami, l'amour de ma vie si je peux l'exprimer ainsi; je n'ai jamais plus répondu à ses appels, à ses SMS, ai toujours évité tous ces endroits où nous nous retrouvions. C'est à cet instant que j'ai décidé d'arrêter de manger de l'humain. Définitivement. Si je voulais le retrouver, il me fallait être certain que ce genre de chose ne pourrait pas arriver de nouveau. Mais je reste une goule, c'est dans ma nature de me nourrir de chair humaine...alors ponctuellement, lorsque la faim devient trop insupportable, je perds les pédales. Je pète un câble et m'attaque à n'importe qui, pourvu que mon estomac soit contenté. Un jour, j'ai assassiné une goule pour lui voler son dîner. Lorsque je suis dans cet état, je suis incapable d'être rationnel. Je ne ressens que la douleur de la famine...

Aujourd'hui, je suis encore professeur et je sais manier mon image publique à la perfection. Mais je suis toujours à l'affût du jour où mon pétage de câble m'arrivera devant les élèves, le jour où je m'attaquerai à l'un d'eux. Ce jour-là, peut-être deviendrai-je définitivement un monstre à abattre...